« Restituer la longue mémoire du passé »
Dominique Venner est écrivain et historien. Il a publié une cinquantaine d’ouvrages et dirigé comme éditeur plusieurs collections historiques et littéraires. Il est le directeur de La Nouvelle Revue d’Histoire qu’il a fondée en 2002. Sa vie a orienté sa vocation.
Parmi tous les ouvrages de Dominique Venner, il en est trois qui constituent des jalons successifs permettant de comprendre son itinéraire, Le Cœur rebelle, le Dictionnaire amoureux de la Chasse et Le Siècle de 1914, auxquels il faut ajouter Histoire et tradition des Européens qui est à part.
Dominique Venner est né à Paris le 16 avril 1935 ; il a cinq enfants. Comme l’ont fait avant lui Jacques Bainville ou Benoist-Méchin, il est venu à l’étude de l’histoire par l’observation critique du présent. Après ses études secondaires et avant de s’intéresser à l’histoire de l’art et des armes, il s’est engagé dans l’armée le jour de ses dix-huit ans (école militaire de Rouffach). Volontaire ensuite pour l’Algérie, il participe jusqu’en octobre 1956, selon ses mots, à cette « petite guerre médiévale » qui compta beaucoup dans sa formation, l’entraînant pour une dizaine d’années dans des engagements politiques intenses et la création de la revue Europe Action. Evoquant cette période, il dira : « Sans le militantisme radical de ma jeunesse, sans les espérances, les déceptions, les complots ratés, la prison, les échecs, sans cette expérience excitante et cruelle, jamais je ne serais devenu l’historien méditatif que je suis. C’est l’immersion totale dans l’action, avec ses aspects les plus sordides et les plus nobles, qui m’a forgé et m’a fait comprendre et penser l’histoire de l’intérieur, à la façon d’un initié et non comme un érudit obsédé par les insignifiances ou comme un spectateur dupe des apparences. » Dominique Venner a évoqué ces années de formation dans Le Cœur rebelle (Belles Lettres, 1994), ouvrage de méditation sur ses engagements, et premier jalon dans son parcours.
Vers 1970, il a rompu définitivement avec les engagements politiques qui, dira-t-il, ne correspondaient pas à sa vocation. Il quitte même Paris afin de se ressourcer au plus près des forêts, vivant désormais de sa plume. Année après année, il publie un grand nombre de livres et collabore à la presse, étudiant durant cette première période l’histoire peu explorée des armes et de la chasse. Cette époque de son existence sera refermée un jour par le jalon du Dictionnaire amoureux de la Chasse, publié chez Plon en 2000, et salué notamment par Michel Déon.
Entre-temps, Dominique Venner avait développé une activité d’édition. Peu après 1970, l’éditeur André Balland lui confia la direction d’une collection de récits historiques qui révéla de nouveaux auteurs. Parallèlement, il entreprenait des recherches sur l’histoire contemporaine afin de répondre à ses propres interrogations. Ces travaux furent inaugurés par son livre Baltikum (Robert Laffont, 1974), consacré aux Corps-francs allemands des années 1919-1923. Plus tard, il reprendra ce travail, modifié et augmenté (Histoire d’un fascisme allemand, 1919-1934, Pygmalion, 1996/2002), grâce notamment aux éclairages que lui apporta Ernst Jünger.
De nombreux autres ouvrages historiques ont suivi, entre autres Le Blanc Soleil des vaincus (Table Ronde, 1975), consacré à la guerre de Sécession américaine. Histoire de l’Armée rouge (Plon, 1981), salué par un prix de l’Académie française, Gettysburg (Le Rocher, 1995), Histoire critique de la Résistance (Pygmalion, 1995/2002), Les Blancs et les Rouges, Histoire de la guerre civile russe (Pygmalion, 1997, repris et augmenté au Rocher en 2007), Histoire de la Collaboration (Pygmalion, 2000/2002), Histoire du terrorisme (Pygmalion, 2002), De Gaulle, la grandeur et le néant (Le Rocher, 2004), et Le Siècle de 1914 (Pygmalion, 2006). Ce dernier ouvrage constitue le troisième grand jalon de son itinéraire, auquel il faut ajouter son essai Ernst Jünger. Un autre destin européen (Le Rocher, 2009).
Parallèlement à ses travaux sur l’histoire contemporaine, Dominique Venner publia en 2002 Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d’identité (Le Rocher, nouvelle édition 2004), ouvrage de fond qui interroge les sources et la destinée de la civilisation européenne en partant d’Homère.
Après avoir dirigé la revue Enquête sur l’histoire (1991-1999), il a fondé en 2002, avec le soutien de François-Georges Dreyfus, Bernard Lugan et d’autres historiens, La Nouvelle Revue d’Histoire (NRH) qui s’est révélée en effet novatrice sur le fond et la forme. « Nous voulions fonder une revue qui en finisse avec les interprétations partiales et partielles de l’histoire, qui dessine une autre vision du passé et de l’avenir, qui aspire à une renaissance européenne. Nous voulions que cette revue soit moderne et esthétique. Notre charte implicite incluait le respect de la diversité philosophique des collaborateurs, mais un même attachement à l’honnêteté historique sans préjugés, le souci enfin de nous exprimer de façon vivante, élégante et claire pour le plaisir de nos lecteurs. »
Répondant à la question d’un lecteur sur sa vision optimiste de l’avenir, Dominique Venner a offert cette réponse : « Mon “optimisme”, comme vous dites, n’est pas béat. Je n’appartiens pas à une paroisse où l’on croit que tout finit par s’arranger. Je vois parfaitement tout ce qui est noir dans notre époque. Je pressens, cependant, que les puissances qui pèsent négativement sur le sort des Européens seront sapées par les chocs historiques à venir. Pour parvenir à un authentique réveil, il faudra encore que les Européens puissent reconquérir leur conscience indigène et la longue mémoire dont ils ont été dépossédés. Les épreuves qui viennent nous y aideront en nous affranchissant de ce qui nous a pollué en profondeur. C’est la tâche téméraire à laquelle je me suis voué. Elle a peu de précédents et n’est en rien politique. Au-delà de ma personne mortelle, j’ai la certitude que les brandons allumés ne s’éteindront pas. Je m’en rapporte pour cela à nos poèmes fondateurs. Ils sont le dépôt de toutes nos valeurs. Mais ils constituent une pensée en partie perdue. Nous avons donc entrepris de la réinventer et de la projeter sur le futur comme un mythe créateur (2). »
Commentant son livre Le Choc de l’Histoire (Via Romana 2011), interprété comme une sorte de testament intellectuel et une synthèse de ses travaux (1), le magazine Le Spectacle du monde écrit : « Dominique Venner édifie patiemment, pierre par pierre, une œuvre des plus originales consacrée, pour une bonne part, au XXe siècle européen envisagé dans la longue durée, mis en rapport avec le plus lointain passé du Vieux Continent, sa plus longue mémoire, sa tradition profonde, dégageant au fil des titres une réflexion sur le destin de l’Europe et des Européens. »
Le 21 mai 2013, Dominique Venner se donnait la mort en la cathédrale Notre Dame de Paris «dans une intention de protestation et de fondation (…), afin de réveiller les consciences assoupies». Un mois plus tard, paraissait aux Editions Pierre-Guillaume de Roux son ouvrage posthume et testamentaire, Un Samouraï d’Occident. Valeurs Actuelles commenta : « Le lecteur y découvrira réflexions et exemples pour «nourrir sa pensée, ses actes et sa vie», se libérer des « déconstructions perverses et provisoirement triomphantes », renouer avec une autre vision du monde et de la vie par le recours à la tradition, qui se confond, non pas avec des rites passéistes, mais avec ce qui ne passe pas : « la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon. » Manuel de résistance en temps de désastres, ce bréviaire est aussi un indispensable instrument de reconquête spirituelle et politique à conserver toujours à portée de main quand nous gagne la tentation du fatalisme et du renoncement.
Notes
- Le Choc de l’Histoire a été réalisé sous la forme d’entretiens avec la journaliste Pauline Lecomte.
- La NRH n° 58, janvier 2012.