Edito du Hors-série n°2, printemps-été 2011 – La Vendée et la Terreur
La Révolution française fut l’un des plus formidables et mystérieux orages de tous les temps. Qui aurait pu en prévoir les déchainements et les conséquences ? Comment expliquer que l’un des plus anciens royaumes sous le ciel, puissant et prestigieux, oui, comment expliquer qu’il se soit soudain englouti dans une orgie d’horreurs sans laisser de traces ? Comment expliquer aussi sur ses ruines l’établissement d’une République enfantée par la Terreur ?
À la recherche d’explications rationnelles, l’historien observera, à la suite de Taine, la décadence d’une élite de cour devenue aveugle et défaillante (1). Il expliquera qu’un beau jour elle a été renversée pour céder la place à de nouveaux maîtres issus de la plèbe. C’est la logique de la plupart des révolutions. Cela n’explique pas le cours particulier de la Révolution française, le rejet radical du passé, la « table rase » et les violences qui ont tant stupéfait Edmund Burke, observateur précoce et perspicace de la « French Revolution » (2).
C’est chez lui que l’on peut recueillir les premiers éléments convaincants d’une explication historique. Burke a fondé son analyse sur l’observation des faits et une ample réflexion historique. Elles lui permettent, dès 1790, d’annoncer les terribles conséquences de l’ouragan qu’il voit naître.
Burke a bien vu que le rejet du passé est caractéristique de la Révolution française. Mais pourquoi cette folie de la « table rase » s’est-elle manifestée en France et pas ailleurs ? C’est à cette question que répondra plus tard Alexis de Tocqueville dans L’Ancien régime et la Révolution (1856). Il avait été mis sur la voie par le mot de Chateaubriand datant de 1819 (De la Vendée) : « La Révolution était achevée lorsqu’elle éclata. C’est une erreur de croire qu’elle a renversé la monarchie ; elle n’a fait qu’en disperser les ruines… »
Cela n’explique pas les débordement de violences de la Terreur, tout particulièrement contre le peuple de Vendée, soumis à partir du printemps 1793 à un véritable « populicide » que parachèveront les colonnes infernales de 1794 (3). Pour interpréter ces folies monstrueuses, il faut s’en reporter à Gustave Le Bon, fondateur des études sur la psychologie collective. Relisons-le : « Un gouvernement assez sanguinaire pour faire guillotiner ou noyer des vieillards de quatre-vingts ans, des jeunes filles et de tout petits enfants, couvrant la France de ruines et cependant réussissant à repousser l’Europe en armes ; […] voilà des tragédies uniques dans les annales du genre humain. (4) »
Dans le genèse de la Révolution, explique Le Bon, « sont intervenus des éléments rationnels, affectifs, mystiques et collectifs régis chacun par des logiques différentes. » C’est pour n’avoir pas su dissocier leurs influences respectives que tant d’historiens ont mal interprétés cette période.
« L’élément rationnel généralement invoqué comme moyen d’explication exerça en réalité l’action la plus faible. » Il prépara la Révolution. Mais dès que celle-ci pénétra dans le peuple, « l’influence de l’élément rationnel s’évanouit vite devant celle des éléments affectifs et collectifs ». Le Bon parle même d’éléments mystiques et religieux.
Ce n’est pas la raison pure qui soulève les hommes. « Peu d’historiens comprirent que ce grand mouvement devait être considéré comme la fondation d’une religion nouvelle… Mais comme dans toutes les religions, on observa une contradiction complète entre les doctrines et les actes. En pratique, aucune liberté ne fut tolérée et la fraternité se vit remplacée par des furieux massacres ». Pourquoi ? « Cette opposition entre les principes et la conduite résulte de l’intolérance qui accompagne toutes les croyances. » Le Bon souligne qu’une religion peut être imprégnée d’humanitarisme, de douceur et de fraternité, mais, comme ses sectateurs veulent toujours l’imposer par la force à des adversaires ou des indifférents assimilés au Mal, elle aboutit nécessairement à des violences illimitées. Toute religion conquérante est totalitaire. Elle ne laisse rien hors de son contrôle.
Notes
- Hippolyte Taine, L’Ancien Régime et la Révolution (1875), réédition Laffont/Bouquins, 1986.
- Edmund Burke, Réflexions sur la révolution de France (1790), Hachette Pluriel, 1989.
- Reynald Secher use du terme de génocide dans son livre fondateur : Le génocide franco-français, La Vendée-Vengé, PUF, 1986.
- Gustave Le Bon (1841-1931), Psychologie des révolutions (1912).