Trois campagnes de Russie

15 mai 2012 | Édito, NRH

Trois campagnes de Russie

Edito de la Nouvelle Revue d’Histoire n°60 – avril-mai 2012

L’histoire parallèle de la Russie et de l’Europe rejoint les commémorations de 1812 pour réveiller un passé oublié. Le hasard des millésimes et de troublantes similitudes imposent ainsi le rappel de 1942, l’année de Stalingrad, venant après l’opération Barbarossa de 1941.

À la tête de la Grande Armée, Napoléon traversa le Niémen le 24 juin 1812. Cent trente ans plus tard, à deux jours près, les Panzer d’Hitler en firent autant. Les conséquences furent plus lentes à venir, mais dans des proportions bien pires pour tous les belligérants. Quant aux causes, on sait qu’elles se ressemblaient étrangement. Faute de pouvoir atteindre l’Angleterre protégée par son insularité, les deux assaillants s’en prirent à la Russie, son allié principal sur le continent.

Avec un peu d’agilité, comment ne pas relier par la pensée les immenses conflagrations de 1812 et 1942 dont la Russie fut le théâtre et l’événement fort différent et en apparence infime du 4 mars 2012 ? Qu’elle plaise ou déplaise, l’élection de Vladimir Poutine à la présidence de son pays n’est pourtant pas un fait négligeable. Sa signification a une autre portée que les rites périodiques des vieilles démocraties « occidentales ». Cette élection confirme un effort entrepris depuis une douzaine d’années pour arracher la Russie au gouffre mortel où l’avaient précipitée soixante-dix ans de communisme, suivis des dix années de chaos et de pillage eltsiniens (1). Que l’on s’en indigne ou que l’on s’en félicite, par son discours de Munich du 10 février 2007 et les choix qui l’ont accompagné, le président Poutine a également inauguré un surprenant retour à l’ancienne tradition européenne des relations entre les États. Dans cette tradition, les États, petits ou grands, étaient considérés comme souverains et seuls juges de leurs lois et de leur façon de gouverner. Cela excluait tout droit d’ingérence d’autres États nécessairement plus puissants. Un droit qui masque toujours des visées impériales sous des prétextes humanitaires. Les Etats-Unis ont pu de ce fait intervenir militairement dans les affaires intérieures de l’Irak pour en contrôler les ressources pétrolières, alors que la réciproque n’était pas vrai. C’est à cette loi du plus fort, fardée de pieuse « morale », que la nouvelle Russie, soucieuse de sa souveraineté, entend semble-t-il mettre un terme. Cela dérange (1). Mais si l’on prend soin de conserver un peu de mémoire historique, un tel souci peut se comprendre. Au cours de son histoire, la Russie fut parfois conquérante, mais elle fut aussi très souvent placée sous la menace de conquêtes. Avant les cruels épisodes de 1812 puis de 1941-1945, la Russie avait été plusieurs fois envahie ou menacée. Par les Mongols, fort longtemps, les Lithuaniens que repoussa Alexandre Nevski, ou encore par les Suédois de Charles XII.

Ces faits sont bien connus, mais plus ou moins oubliés. Notre dossier les rappelle. C’est l’originalité de La Nouvelle Revue d’Histoire depuis sa création, voici dix ans cette année, que de réveiller ce que d’autres préfèrent dissimuler.

Au début du siècle dernier, dans une préface à une nouvelle traduction du Faust de Goethe, Anatole France avait écrit quelques vérités qui nous semblent toujours plus actuelles : « C’est le passé qui fait l’avenir, et l’homme n’est au-dessus des animaux que par la longueur de ses traditions et la profondeur de ses souvenirs. […] L’altération de la mémoire est chez les peuples comme chez les hommes le premier signe de la dégénérescence. »

Nous demandons au passé d’éclairer le présent, ce qui inclut l’agrément d’apprendre et de comprendre. Sans oublier celui de découvrir les faits cocasses, héroïques ou surprenants que recèle l’Histoire. De multiples façons, nous offrons aussi des occasions et des prétextes à la réflexion. À chaque lecteur d’en faire son profit si cela lui chante et selon son bon plaisir.

 Dominique Venner

 

 Notes

  1. Avant et après les élections russes du 4 mars 2012, l’observateur neutre n’a pu qu’être frappé par l’unanimité de la presse française. Pour l’essentiel, elle épousait les vues de la puissance suzeraine de l’ancienne zone atlantique. Partout, une même animosité dans les commentaires de journaux aux opinions en apparence aussi différentes que Le Monde, Le Figaro ou Libération. On les a vu user à l’égard de la Russie d’une « langue de bois » rappelant les beaux jours de l’ancienne Pravda. Une Pravda de la bien pensance occidentale.