Roman historique chez Gallimard, 634 p., 21 €
Qu’est-ce donc qui se cache derrière le titre de ce roman ? Un titre qui ne peut laisser indifférent. Une fois tournées les première pages un peu lentes, on découvre qu’Alexis Jenni, dont c’est la première tentative romanesque, possède une vraie patte d’écrivain amoureux de la langue française et de narrateur. Exception faite toutefois pour les scènes de la bataille d’Alger (1957) qui sont en toc et en rajoutent de la façon la plus convenue au sujet de la « torture ». Sur ce terrain, Jenni est moins à l’aise que dans la description des élans amoureux.
Le fil conducteur du roman est l’itinéraire d’un officier français d’origine lyonnaise, le capitaine de paras coloniaux Victorien Salagnon, peintre à ses heures et personnage estimable. On l’escorte depuis les maquis de 1943 jusqu’à l’abandon d’Alger quand cette ville cessa d’être française en 1962. Cet itinéraire et celui de quelques autres anciens « bérets rouges » se poursuit dans la France d’aujourd’hui, une France devenue en partie algérienne par un retournement assez prévisible, n’en déplaise à certain général qui disait vouloir éviter une telle issue.
L’art français de la guerre peint par Jenni, c’est celui d’une débâcle historique inaugurée en 1940 et qui n’a plus cessé, en dépit de quelques sommets d’héroïsme. La décadence et son haleine fétide constituent le thème musical de ce roman ambigu et plutôt sombre. Outre deux jolies femmes que l’on aimerait connaître, pèse sur ces pages le poids insupportable de la puissance déchue. Et cette déchéance a contaminée l’âme du narrateur au point que l’idée même de vigueur ou de « force » fait frémir d’indignation sa conscience pécheresse. L’Histoire, dit-il est « un fleuve de sang ». Originale découverte ! Elle est faite aussi, entre autres, semble-t-il, de quelques plages paisibles et joyeuses, mais encore de courage et de lâcheté, d’ignominie et de beauté… Elle est faite encore de vainqueurs et de vaincus. Certains, comme le narrateur, semblent l’être par avance, brisés dans leur tête à l’idée même de tout affrontement. Ceux-là, quand bien même seraient-ils des amants plutôt ardents, paraissent comme amputés de ce qu’il faut bien appeler leur virilité. On les voit donc impuissants à défendre devant les dangers de l’Histoire les femmes qu’ils aiment. Et l’une d’elles, prénommée Eurydice dans ce roman, née en Algérie d’où elle fut chassée en 1962, leur en fait le reproche sanglant. Comment ne pas la comprendre ?
Dominique Venner