Dossier de la Nouvelle Revue d’Histoire n°54, mai-juin 2011
Trente ans déjà ! 1981-2011. Personne n’ignore cet anniversaire. S’il nous intéresse, c’est en raison de la personnalité énigmatique de François Mitterrand et de ce qu’elle révèle d’une histoire française contemporaine largement occultée.
Le 8 janvier1996, dès la mort de l’ancien président, son successeur à l’Élysée, Jacques Chirac, en principe son adversaire, s’adressait aux Français d’un ton solennel : « À l’heure où François Mitterrand entre dans l’Histoire, je souhaite que nous méditions son message… » On imagine la perplexité des auditeurs. « Son message ». Oui sans doute, mais lequel ?
Durant sa vie, François Mitterrand a délivré une multiplicité de messages contradictoires, au gré d’une histoire changeante et pleine d’inattendus. Rarement un personnage public aura épousé à ce point les évolutions les plus extrêmes de son temps, sans faire néanmoins figure de girouette. En cela, il est révélateur des facettes multiples d’un mystère français qui, habituellement, se déguise.
Jamais, on ne trouve le personnage où on l’attend. Le plus célèbre socialiste français de la fin du XXe siècle fut aussi un jeune homme d’extrême droite, proche, avant la guerre et durant celle-ci, des membres les plus engagés de la Cagoule, puis des partisans les plus farouches d’un pétainisme pur et dur évoluant vers la résistance aux Allemands. Par la suite, sur l’Algérie, la décolonisation, l’Europe ou la Constitution, que de retournements, voire de reniements !
Comme Franz-Olivier Giesbert, on peut penser que le Président ne s’y retrouvait peut-être plus lui-même au soir de sa vie : « il s’égarait dans ses mensonges » (1). Pourtant, beaucoup de Français se sont plus ou moins retrouvés dans ses virages acrobatiques. Sa destinée est-elle aussi exceptionnelle qu’on l’a dit ? Elle fut celle, assez banale, d’un jeune nationaliste devenu maréchaliste, puis maréchaliste et résistant, puis un résistant ni gaulliste ni communiste, dont l’antigaullisme de droite se renversa en antigaullisme de gauche. Ce que cet itinéraire perd en panache, il le gagne en vérité. Henri Amouroux disait à juste titre que tout le monde a commencé par être maréchaliste. Soulagement dans les chaumières : papa n’était pas un salaud !
Opportunisme ? C’est vite dit. Le personnage a épousé avec une rare constance les plus incroyables évolutions de son temps. L’étonnant chez lui, c’est qu’en dépit de ses changements de cap étourdissants, il est resté fidèle à ses amitiés. Sa personnalité sinueuse s’associe avec la permanence d’un réseau complexe et serré de relations, de complicités, de services rendus à charge de revanche. Comme l’expliquait Gilles Martinet, membre du conseil national du PS : « Il se trouve toujours quelqu’un pour accomplir ce qu’il désire, parce que ce quelqu’un sait qu’il sera aidé, défendu, protégé, récompensé, promu, même s’il passe pour un adversaire politique ».
Songeant à la cérémonie un peu ridicule du Panthéon en mai 1981, Daniel Cordier, se drapant dans son personnage de secrétaire de Jean Moulin, s’indigna : « Comment peut-on passer du tombeau de Jean Moulin à la table de René Bousquet ? » Justement, Mitterrand a montré qu’on le pouvait. Autrement dit, l’histoire vraie, non celle de la légende, n’est ni blanche ni noire, mais un peu les deux à la fois.
Tel est le panorama qu’examine notre dossier. Celui-ci commence par l’éditorial de Dominique Venner, Mitterrand et le mystère français (p. 5). Il se poursuit par l’entretien que nous a accordé le psychologue et sociologue Paul Yonnet, qui perse à jour la personnalité énigmatique et romanesque de l’ancien président (p. 37). Charles Vaugeois établit ensuite une chronologie précise qui reconstitue la vie étonnante du personnage, de 1916 à 1996 (p. 40). Une attention particulière est portée par Jean-Claude Valla aux liaisons surprenantes et prolongées de Mitterrand avec les cagoulards (p. 18). Les fidélités du personnage ont cependant été marquées par une brutale rupture, celle de la mort tragique de François de Grossouvre, dont le mystère est examiné par Dominique Venner (p. 51). Sur le théâtre de la grande politique, comment Mitterrand a-t-il répondu à l’immense échéance européenne de 1989 ? c’est la question à laquelle répond Thierry Buron (p. 53). Revenant sur la victoire de 1981, Alain de Benoist montre qu’elle n’aurait pas été concevable sans le pouvoir préalable de l’intelligentsia (p. 55). Pour conclure, Philippe Conrad rappelle que la victoire de la gauche en 1981 ne fut pas une première. Il évoque les précédents de 1924, 1936 et 1956, avec toutes leurs conséquences (p. 22). Ainsi offrons-nous matière à l’information et à la réflexion.
La Nouvelle Revue d’Histoire
Notes
1. F.O. Giesbert, Le Vieil homme et la mort, Gallimard, 1996, p. 130.