La mort de François de Grossouvre, tué d’une balle dans la tête, à son bureau de l’Elysée, le 7 avril 1994, n’a pas cessé de poser des questions. Il était intéressant de savoir ce qu’allait en dire la journaliste Raphaëlle Bacqué qui prétendait avoir réalisé sur François de Grossouvre une enquête approfondie (1). En dépit des louanges convenues de confrères qui n’ont pas lu le livre et ne connaissent rien au sujet, on peut dire que le résultat plaide peu en faveur de son auteur. Le sujet aurait pourtant pu nourrir un vrai travail de fond. À travers la longue amitié finalement détruite de François Mitterrand et de François de Grossouvre, c’est tout un pan de l’histoire française qui pouvait s’éclairer. Un pan d’histoire qui ne commence pas vers 1980, mais au moins quarante ans plus tôt dans la France opaque des années 40. Bien entendu, il aurait fallu travailler beaucoup, er s’informer afin de comprendre pourquoi des hommes de droite, pétainistes et résistants vers 1942-1943, se sont retrouvés plus tard sous les couleurs du parti socialiste triomphant. Et pourquoi leur amitié, à l’épreuve du pouvoir, a été détruite. Ce n’est pas ce qui a intéressé l’auteur. Elle a bâti une sorte de roman à l’eau de rose. L’ennui est que ce « roman » se rapporte à un personnage et à une tragédie véritables.
Le plus jeune fils de la victime, Henri de Grosouvre a immédiatement réagi par une lettre ouverte à Mme Bacqué, que la presse a étouffée. Citons-en les passages principaux : « Vous affirmez d’abord avoir rencontré la famille de François de Grossouvre et avoir mené une enquête. C’est faux. Vous avez rencontré un seul de ses six enfants, mon frère aîné, à qui vous avez d’ailleurs avoué lors de votre unique entrevue, que la rédaction de votre ouvrage était quasiment terminée… Vous concluez à un suicide, alors que vous n’apportez dans votre livre aucune preuve ni aucun élément nouveau au dossier… Tout au long de votre livre, vous vous laissez aller à une fiction incompatible avec une enquête sérieuse. Vous imaginez par exemple mon père frappant de sa canne (il n’en a jamais utilisé) le parquet de son appartement du Quai Branly pour manifester son mécontentement à Mazarine et Anne Pingeot habitant l’étage au-dessous. Votre livre est truffé de ce genre d’inventions farfelues… Le seul élément nouveau que vous apportez maladroitement ne va pas dans le sens de la thèse que vous défendez (un suicide). Vous insistez sur la troublante présence de Michel Charasse sur les lieux du drame. Charasse, on le sait, avec la complicité du président, orchestra immédiatement la “communication élyséenne” (prétextant une sénilité précoce de la victime, NDLR), et fera disparaître immédiatement les papiers personnels de mon père… »
Les enfants et petits-enfants de François de Grossouvre se sont associés à cette protestation dans un communiqué commun (que le presse n’a pas repris). Ils attirent notamment l’attention sur le fait que « le rapport d’autopsie ne stipule pas “une luxation de l’épaule gauche”, mais “une luxation avant de l’épaule gauche et une ecchymose à la face”. En médecine légale, ajoutent-ils, cela est plus compatible avec l’hypothèse d’un coup porté au visage et une torsion arrière du bras, qu’avec celle d’un tir contre soi-même » (de la main droite). C’est un fait majeur qui suggère un assassinat, dont on peut imaginer les mobiles.
M. Pierre d’Alençon, qui fut le collaborateur de Français de Groussouvre à l’Elysée a dénoncé (AFP) une série d’erreurs factuelles relevées dans le livre de R. Bacqué. Par exemple, p. 52, selon Bacqué, F. de G. aurait tenu sa fortune de son mariage, alors qu’il était le fils et l’héritier d’un banquier. Bacqué assure que F. de G. était franc-maçon (p. 90), ce qui est faux. Elle suggère (p. 101) qu’il s’était opposé à Alexandre de Marenches (directeur du SDECE relevé par Mitterrand), alors qu’ils étaient en excellents termes. P. 109, elle écrit que Mitterrand, pour se débarrasser de F. de G. l’envoyait chez de “petits monarques” tel le roi d’Arabie. Ce “petit monarque” était l’un des plus puissants au monde, et le plus difficile à rencontrer… P. 187, elle dit encore que F. de G., conseilla à Mitterrand, en 1988, de ne pas postuler un second septennat. Elle conclut à une “maladresse”. On peut y voir au contraire une preuve de lucidité, de courage et d’abnégation, puisqu’à ce moment, F. de G. n’avait rien à gagner à la fin du pouvoir mitterrandien.
Tous ceux qui ont approché F. de G. dans les derniers mois de sa vie, ont été frappés par sa révolte contre ce qu’il découvrait de la corruption et des malversations des hiérarques socialistes. Cela explique sa décision de parler au juge d’instruction Thierry Jean-Pierre (fait signalé par R. Bacqué qui n’en comprend pas le sens). À compter de ce moment, F. de G. pouvait constituer un danger mortel pour les plus corrompus. Ce qui pourrait expliquer sa mort et la fouille sauvage de son appartement parisien dans l’heure qui a suivi, avant l’arrivée de la police judiciaire. Celle-ci ne trouvera qu’un appartement dévasté, vide de documents, se gardant d’en tirer des conclusions. Ce qui confirme l’adage : « J’ai confiance dans la police et la justice de mon pays »…
Dominique Venner
Notes
1. Raphaëlle Bacqué, Le dernier mort de François Mitterrand, Albin Michel/Grasset, 2010.
2. Dans son n° 28 (Janvier-février 2007), la NRH avait consacré plusieurs pages à François de Grossouvre et à sa mort suspecte.